24 mars 2009

Ma valve

J'ai dit que la marche du retour serait presque un jeu d'enfant après avoir vu le film « Dédé à travers les brumes ». Je dois l'avouer, j'ai menti. Si la neige nous ralentit et nous demande plus d'efforts, ce n'est rien en comparaison aux limites fixées par notre cerveau.


On m'a souvent parlé de cette limite. Celle qui nous dit quand arrêter. Notre corps réagit lorsque nous lui en demandons trop. Il peut rejeter de l'acide lactique et créer chez nous une sensation de brûlure sur les muscles sollicités ou simplement mettre une limite à notre volonté de continuer dans cette voie. Je n'ai pas de chiffres à ce niveau-là. Il n'y a pas vraiment d'études faites démontrant notre réel potentiel. On admet généralement que nous n'utilisons au maximum 10% de notre cerveau. Pour ce qui est des muscles et des nerfs, l'ordre ne doit pas tourner bien bien plus haut. Bien que ce soit encore au niveau du débat, un argument de cette idée est que si nous devions utiliser 100% de nos capacités, nous serions incapables de faire quoi que ce soit par la suite. Ça peut sembler bête et con, mais si vous prenez une chaudière dans une locomotive (du temps qu'elles marchaient au bois ou au charbon) et que vous la faites chauffer à blanc, à la limite de l'explosion, elle sera totalement inutilisable par la suite. Côté espérance de vie, on tomberait bien bas. Un athlète fait une course et ne peut plus utiliser ses jambes. En génie on appelle ça de la fatigue. Prenez un cadre de vélo d'aluminium et pliez-le quelques millions de fois et il finira par céder. Peu importe combien vous mettez de kilos dessus. Même pas besoin de changer la charge. Vous pouvez voir un exemple simple avec un trombone. Impossible de le casser du premier coup. Toutefois, si on le déforme 2,3 fois il cassera. On « l'utilise » à 90% de sa capacité 2,3 fois et c'est fini. Descendez ce niveau à 5, 10% et il faudra des millions de plis, mais il cèdera, comme vos neurones, vos os et vos muscles.

Si on regarde du côté énergétique plutôt que du côté fatigue, c'est encore plus simple à comprendre. Imaginez un petit Wall-e qui fonctionne à piles. Pour avoir de l'énergie, il doit recharger ses piles au soleil. Si dans une journée il fonctionne à plein régime, le soir, il ne pourra pas changer ses vieilles piles pour celles qui ont eu la journée pour être chargées. Il restera sur place, incapable de bouger. Du côté humain, si nous pouvions utiliser toute notre énergie, ce serait notre biomasse qui disparaîtrait. Nous brûlerions nos sucres, nos graisses et éventuellement nos muscles. Nous serions alors incapables d'aller chercher de l'énergie ailleurs. Remarquez qu'en réalité notre corps serait totalement dysfonctionnel avant d'être totalement vidé de son énergie. Tant que vous avez une certaine température ou même une masse, vous êtes de l'énergie potentielle. On vous brûlerait et on mettrait vos 200g de cendres dans une pièce à -273°C (0 K) que vous pourriez toujours servir pour créer de l'énergie.

Plutôt lugubre quand on voit les choses comme ça. Toutefois, comme vous le voyez, les choses vont bon train. Les machines ne brisent pas, elles sont conçues pour durer et elles sont entretenues. Les êtres vivants vivent aussi. Nous avons créé une limite psychologique à notre corps. Nous avons développé des valves d'urgence lors de notre évolution. Il est extrêmement difficile de briser cette valve ou même de la relâcher un tant soit peu. Les auteurs de science-fiction s'amusent à imaginer une personne pouvant libérer son esprit et utiliser la capacité totale de son cerveau pour toutes sortes d'aventures qui se vendent bien. Les combattants aiment aussi se dire qu'ils ont vaincu la limite de la douleur ou de la fatigue en en demandant toujours plus à leur corps. Certains vont même développer des drogues comme la cortisone ou autres afin d'empêcher la détection des signaux d'alarme, laissant ainsi la personne qui s'entraîne décider s'il doit continuer ou non au risque de se blesser. En réalité, on ne peut pas vraiment avoir des valves plus permissives. Si on veut les limiter davantage, alors là, le cerveau n'a pas la moindre objection.
Pour les curieux, le dispositif de sécurité montré sur l'image a été créé pour les chaudières et les locomotives. Lorsqu'on chauffe trop, la tige centrale tourne très rapidement. Tellement que les 2 grosses boules lèvent. En levant, elles déclenchent un processus qui coupera l'entrée d'énergie. C'était peu efficace comme méthode (chauffe la chaudière, arrête, chauffe à nouveau, etc.), mais c'était toujours mieux que les premières qui pouvaient vous sauter à la figure. [Petite simulation ici]

C'est un peu ce qui s'est passé après le film samedi soir. Après avoir littéralement bouilli à la fin, je sentais que j'avais perdu le contrôle de mon corps. Cette marche fut plus difficile que celle dans la neige, car je devais constamment me battre contre des signaux prématurés. Aucune douleur physique, pas d'acide lactique, pas de pouls rapide, rien. Seulement, je ne peux plus marcher. Je dois m'arrêter, me calmer. Trop troublé, mon esprit décide d'arrêter mon corps un instant. Dédé est mort il y a neuf ans. Toi, tu vis encore. Profites-en et fais quelque chose pour les autres. Tu ne dois pas mourir tout de suite, tu as trop à faire demain.


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