4 avr. 2009

Ma deuxième chute

Le printemps est là. Mon vélo est prêt. Les sols commencent à être potables. Pourtant, après ma première sortie, je n'ai pas envie de reprendre mon guidon à pleines mains, de ressentir les coups du terrain dans mes bras et mes jambes et de me couvrir de boue. Certains diront que c'est normal, pour moi, ça ne l'est pas. J'ai déjà traversé cette phase où je reste chez moi le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Il n'y a rien de pire que de perdre ma seule et unique véritable passion.

J'ai perdu confiance en ma machine. Extérieurement, c'est la même. Le guidon n'est pas à moitié rouillé et prêt à fendre comme l'était celui de mon ancien vélo. Ma chaîne est neuve. Mon pédalier est de meilleure qualité et presque neuf. Le problème c'est ce qui se trouve en lui. Son comportement. Ma suspension arrière, je la vois comme un grand absorbeur d'énergie et un faible amortisseur pour les chocs. De plus, j'ai été forcé plusieurs fois de m'en occuper pour qu'elle arrête de faire du bruit. Ma suspension avant semble être complètement bloquée. J'ai une fourche solide, comme sur mon ancien vélo. Seulement, cette fois-ci, elle est plus lourde puisqu'elle est conçue pour bouger. Bref, j'ai l'impression que tout cela tombe en ruine. Tout ce qui devait normalement m'aider et me rendre la vie plus facile n'assume plus son rôle. Mes bras, mes jambes, mon dos, ils ne sont plus protégés des chocs. Le vélo non plus d'ailleurs. Pourtant, il essaie de faire son rôle, pathétiquement. Avec ses 2 suspensions défectueuses, il me nuit. La puissance dynamique que je lui donne ne crée qu'un mouvement de va et vient qui dissipe chaque joule d'énergie.

J'ai aussi perdu confiance en mon pédalier. Chaque coup de pédale me donne l'impression de frotter 2 planches de bois ensemble. Du frottement partout. À chaque cycle, seulement 20% de mon énergie se rend aux pédales. Le reste se perd en frottement, en chaleur. Ainsi, je suis incapable de pédaler à la 21e vitesse. Je me tiens autour du 2e plateau. De toute façon, je ne pourrais pas aller plus vite. Mes freins ne suffisent plus à ma demande. Ma roue arrière n'étant pas parfaitement ronde, je n'arrive pas à ajuster correctement mon frein arrière. Pour ceux qui ne font pas trop de vélo, freiner uniquement avec la roue avant cause un grand problème à grande vitesse. Non seulement la masse est transférée vers l'avant (on bascule), mais il suffit d'un seul obstacle pour que la roue se fige à l'intérieur et ne puisse en ressortir. Bref, ça va mal côté mécanique.

Est-ce que ça va si mal que ça en réalité? Serait-ce possible que ce ne soit pas la machine qu'il faut blâmer? À force de regarder les nouveaux vélos, je me suis dit que le mien faisait pitié. Je le dénigre. C'est un Minelli, rien à voir avec les DeVinci ou les Norco. Mon ancien Minelli avait plus de 10 ans et marchait encore très bien. Le problème vient peut-être plus de moi. Peut-être que lorsque je vois ces cyclistes dans la neige ou ceux qui ont une technique parfaite et un rythme soutenu, je les envie. Je désirerais changer de vélo et qui je suis.

Je suis essentiellement la même personne qu'auparavant. Si on regarde à l'extérieur, on ne voit presque pas de changement. Même expression faciale, mêmes cheveux, même posture. Pourtant, à l'intérieur, je rouille. Je suis loin d'être comme mon grand-père qui ne peut plus marcher et qui a de la difficulté à manger par lui-même avec sa maladie de Parkinson. À ce niveau, je réalise ma chance. Certaines personnes voudraient se tenir sur deux jambes, mais ne peuvent même pas. De mon côté, c'est cette envie qui me manque. Trop de choses me déçoivent pour me motiver à continuer. J'aime exceller. J'aime voir de l'amélioration chez moi. Pour ces raisons, je vois tout ce que je fais comme une progression. Le seul problème, c'est que, parfois, je progresse tellement lentement que j'ai l'impression de ne pas avancer. D'autres fois, l'écart est tellement loin entre mon objectif et moi qu'il me semble inatteignable. J'aurai beau critiquer mon vélo, ce n'est pas lui qui s'empêche d'aller dehors, c'est moi. Et si effectivement il a besoin d'entretien, c'est à moi de trouver les solutions. Je les connais, je manque seulement de motivation pour le réparer.

Aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de réparer un petit coffre à bijoux, plus précisément une petite ballerine qui ne tournait plus et qui ne faisait plus de musique. J'ai aussi arrangé une horloge, amélioré la réception d'une télévision et installé un siège de toilette en allant voir une amie. Pourtant, j'ai une ampoule brûlée au-dessus de ma tête depuis 3 semaines. J'ai un vélo qui m'attend collé sur un mur depuis presque le même temps. J'ai un rapport de projet de session que je n'arrive pas à ouvrir. J'ai ma vaisselle qui m'attend trop souvent. Si je ne fais pas les choses pour le bonheur de quelqu'un d'autre que moi, personne ne sera heureux. Je ne peux m'autosatisfaire.

Je fais des efforts pour penser le contraire. On m'a demandé lors d'une de mes nombreuses entrevues ce que je jugeais comme ma plus grande réalisation. Ma vie entière est une réalisation. Il n'y a pas un élément qui se distingue plus que les autres, chacun m'aide, un étage à la fois. Il se peut que certaines réalisations profitent énormément aux autres. Lorsqu'une personne est extrêmement heureuse d'un de mes actes, c'est logiquement une grande réalisation. Peut-être est-ce la réponse que j'aurais dû donner pour avoir le poste. Seulement, la seule chose que je vois pour l'instant qui puisse m'aider, c'est une bouillie de tout. La théorie du Big Bang stipule que tout était un nuage opaque bouillant durant environ 400 000 ans. Par la suite, c'est devenu une soupe avec des grumeaux, les galaxies et les étoiles. Aujourd'hui, des planètes émergent. On y voit clair. On peut y vivre. Si à 22 ans j'en suis à 400 000 ans équivalents pour l'univers, théoriquement (si on garde les mêmes ordres de grandeur), on pourrait calculer que j'aurai les idées claires aux environs de 753 500 années humaines (13.7 milliards d'années pour l'Univers). Ça me laisse encore du temps pour réparer mon vélo et me remettre de cette chute.


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